615 - Discours de Bruno Le Maire lors des Assises de la data transformation – Jeudi 28 janvier 2021

2 Février 2021 | Discours

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Mesdames et Messieurs, bonjour à tous.
 
Merci de prendre un peu de temps ce matin pour travailler ici au ministère de l’Économie et des Finances sur la question des données, de leur utilisation, de leur protection et de leur valorisation.
 
C’est un des enjeux majeurs pour notre économie du XXIème siècle. Comme vous le savez, dans ces temps de crise, c’est aussi une opportunité exceptionnelle que nous voulons saisir, avec le président de la République et le Premier ministre, pour accélérer la transformation de notre économie et lui permettre de sortir plus forte de la crise.
 
Dans ces temps qui sont des temps difficiles pour beaucoup de Français, où il y a de l’inquiétude, de la lassitude, parfois même de la colère chez beaucoup de nos compatriotes, je tiens à profiter de cet événement pour leur dire que nous sortirons de cette crise sanitaire et économique avec une économie qui sera transformée, digitalisée, plus durable, plus compétitive, et que c’est cela qui se joue en ce moment.
 
Notre détermination est très simple et très claire depuis le début, il faut à la fois protéger notre économie, protéger des secteurs qui sont le plus touchés : les commerces, les restaurants, les bars, les hôtels, tous ceux qui travaillent dans le secteur du sport, tous ceux qui travaillent dans le secteur de la culture, de l’événementiel, tous les secteurs industriels qui sont de plus en plus impactés par la prolongation de la crise, je pense évidemment au transport aérien et à l’industrie aéronautique. Mais il faut dans le même temps, accélérer la transformation économique de notre pays.
 
C’est toute la difficulté du moment. C’est tout le défi. Mais nous devons le relever.
 
Favoriser les investissements, financer l’innovation, accélérer la digitalisation de notre économie, c’est maintenant que cela se joue. Lorsque la crise sera derrière nous, et j’espère que c’est une affaire de quelques mois, d’ici la fin de l’année 2021, lorsque la croissance sera de retour, il faut que nous ayons une économie en état de marche, qui soit modernisée, qui soit digitalisée, qui sache faire un meilleur usage des données, puisque c’est le thème qui nous rassemble aujourd’hui.
 
Je le redis avec beaucoup de force parce que nous avons besoin, en ces temps, qui sont si difficiles pour beaucoup de Français, d’un horizon qui soit le plus clair possible. L’horizon de l’économie française, c’est une économie compétitive, durable, digitalisée. C’est cet horizon-là que nous allons essayer de dessiner ensemble.
 
Pourquoi ces données sont aussi importantes pour notre vie économique et pour notre vie démocratique ? D’abord, elles sont essentielles, évidemment, pour nos entreprises.
 
J’aurai dans quelques instants un entretien avec le président de PSA, qui vient de réussir cette magnifique alliance avec Fiat-Chrysler Automobiles pour créer Stellantis, un des plus grands groupes industriels automobiles. L’enjeu pour PSA, comme c’est le cas aussi pour Renault, comme c’est le cas pour Volkswagen et pour quasiment tous les grands constructeurs automobiles mondiaux, c’est les données, les données que vous récupérez sur vos véhicules, les données qui permettent de gérer la puissance, les données qui permettent de gérer la navigation, et demain, la navigation autonome de votre véhicule. La valeur est dans la donnée.
 
Quand nous faisons de l’économie, par définition, l’objectif est bien de créer de la valeur, donc ces données sont essentielles pour les entreprises. Elles sont essentielles aussi pour les États, car inutile de faire preuve de naïveté à partir du moment où il y a de la valeur dans la donnée, il y a aussi la volonté de capter cette valeur, voire de se l’approprier, parfois par des méthodes qui sont tout sauf acceptables.
 
Je pense en particulier aux actions extraterritoriales qui sont menées contre les données de nos plus grandes entreprises.
 
Il est regrettable aussi que certaines grandes entreprises n’aient pas d’autres choix parce que nous n’avons pas suffisamment développé la valorisation et l’utilisation de ces données pour les entreprises, que de stocker les données chez des hébergeurs qui leur apportent, en plus des services qui leur permettent de valoriser davantage leurs données. Nous devons avoir conscience de cela pour permettre, au contraire, à ces entreprises qui le souhaiteraient de stocker leurs données dans des endroits qui soient totalement protégés.
 
Enfin, c’est vrai pour nos démocraties parce que chacun voit bien, notamment en matière de vote, que la manipulation des données fait peser un risque sur nos démocraties. L’enjeu que vous avez à traiter ce matin est absolument considérable. Nous avons fait ce choix avec Emmanuel Macron d’accélérer la transformation de notre économie et d’accélérer la transformation technologique de notre économie.
 
Toutes les propositions que vous pourrez nous faire iront dans le bon sens.
 
Je veux simplement rappeler concrètement ce que cela signifie dans les semaines qui viennent, dans les mois qui viennent. Quelles sont les actions qui sont engagées et à quel point nous sommes déterminés une fois encore, malgré la crise économique, malgré les incertitudes sanitaires que nous sommes déterminés à poursuivre.
 
La première action pour accélérer cette transformation technologique, c’est justement la numérisation et la robotisation de nos entreprises. C’est toujours pareil en France, nous avons parfois un peu de retard à l’allumage, mais nous savons aussi rattraper notre retard et prendre conscience du retard que nous avons à rattraper.
 
Nous avons pris en matière de digitalisation de nos entreprises, en particulier des PME, un retard important. Nous avons pris un retard important aussi sur la robotisation ; et quand nous regardons les chiffres en comparaison avec ceux de l’Allemagne ou de l’Italie, ce retard est frappant. Il est dû d’ailleurs à cette idée fausse que la robotisation détruirait de l’emploi, alors même que la robotisation permet d’être plus compétitif, de créer davantage de valeur et donc, au contraire, de créer de nouveaux emplois.
 
Nous sommes en train de rattraper ce retard sur la numérisation comme sur la robotisation. Je me réjouis de voir que depuis près de quatre ans maintenant, depuis que nous avons engagé en 2017 des mesures pour favoriser la numérisation et la robotisation des entreprises, nous sommes en train de rattraper ce retard.
 
Nous avions créé, par exemple, un dispositif de suramortissement pour les TPE et les PME qui se robotisent ou qui se digitalisent, qui a extrêmement bien fonctionné.
 
Dans le plan de relance, nous avons accéléré cette volonté de digitalisation en remplaçant le suramortissement par une subvention directe un crédit d’impôt à 40 %. Il a été d’une certaine façon victime de son succès, puisque nous avions engagé 280 millions d’euros très précisément pour la digitalisation des PME industrielles et des très petites entreprises, et que nous sommes au moment où je vous parle à près de 800 millions d’euros de demandes sur ce crédit d’impôt. Je précise pour être tout à fait précis que nous avions du coup rabaissé le taux du crédit d’impôt de 40 à 10 %, mais je souhaite que nous le maintenions et je souhaite que nous puissions accélérer cette digitalisation.
 
Le succès de cette mesure montre tout simplement qu’il y a une volonté des PME et des TPE de rattraper leur retard sur la digitalisation et une prise de conscience à la faveur de cette crise, de l’importance de ce défi.
 
La deuxième action, c’est évidemment le développement du très haut débit. Il n’y a pas d’utilisation possible des données si nous commençons à freiner sur le très haut débit. Nous allons donc investir 240 millions d’euros supplémentaires dans le plan de relance pour accélérer le développement du très haut débit partout en France. C’est la condition du succès technologique de notre économie, c’est la condition aussi du développement des territoires.
 
Quand je vois certains qui vous expliquent qu’ils veulent développer des territoires, ils ont raison ; qui veulent que même les territoires les plus reculés aient des industries, des PME industrielles, ils ont raison. Mais jamais ils n’auront une seule PME industrielle, s’ils ne leur garantissent pas l’accès au très haut débit, la possibilité d’avoir la 5G et la libre circulation des données à travers le territoire. Il faut savoir être cohérent dans les positions que nous défendons.
 
Le troisième champ d’action que nous avons développé, c’est cette fois-ci prendre un temps d’avance. Nous avons eu un temps de retard sur le digital. Quand je dis « nous », ce n’est pas simplement la France, c’est aussi l’Union européenne dans son ensemble. Nous devons garder le temps d’avance que nous avons sur les technologies quantiques. Nous nous sommes rendus, il y a quelques jours avec le président de la République, sur le plateau de Saclay. Nous avons vu les derniers développements du CNRS en matière de calculs et de physiques quantiques.
 
Nous avons, comme vous le savez, un enseignement supérieur en mathématiques qui est probablement l’un des meilleurs au monde. Nous voulons faire du quantique la technologie sur laquelle la France aura un temps d’avance. Là où nous avons pris du retard sur le digital, nous voulons garder et accentuer notre avance sur les technologies quantiques qui sont une véritable révolution mentale.
 
Je n’essayerais pas de vous expliquer ce que c’est exactement le quantique, mais j’y travaille depuis plusieurs années maintenant. Je commence tout juste à comprendre à peu près, mais c’est une telle révolution mentale, que c’est difficile à expliquer.
 
En tout cas, développer le quantique en France, c’est l’assurance que sur la révolution technologique, sans doute la plus importante du XXIème siècle, parce qu’elle modifie complètement notre rapport au réel et à la physique, la France peut être parmi les leaders mondiaux.
 
Nous voulons faire émerger un grand centre de calcul quantique européen basé en France. Nous voulons développer industriellement les technologies de cryogénie avec Air Liquide, qui est absolument indispensable pour aider au développement de l’ordinateur quantique. Nous voulons soutenir la croissance de startups françaises déjà pionnières dans ce domaine, comme Pasqal, Quandela ou Cryonext, ou de grands groupes comme Atos qui ont pris un temps d’avance important dans ce domaine, notamment grâce à l’action de son précédent président, le commissaire européen Thierry Breton.
 
Enfin, dernier champ de développement, c’est la cybersécurité pour protéger nos données. Nous allons développer une offre nationale souveraine de cybersécurité avec des éditeurs français de logiciels de sécurité informatique comme Wallix, et nous ferons émerger un campus cyber en région parisienne qui doit rester le centre d’excellence pour la recherche dans ce domaine.
 
Un dernier mot enfin sur notre stratégie, ce n’est pas uniquement une stratégie fondée sur l’investissement et sur l’avance technologique. Il doit aussi y avoir un volet de protection.
 
Je précise au passage que notre philosophie d’économie politique reste la même depuis 2017. Simplement, les points de notre philosophie politique sont plus ou moins accentués en fonction des circonstances et de la situation économique.
 
Nous avons toujours voulu, avec cette majorité, à la fois investir massivement, innover, financer de nouvelles technologies, libérer les capacités de production de notre économie, alléger les impôts qui pèsent sur les entreprises pour qu’elles puissent se développer le plus rapidement possible et dans le meilleur environnement possible.
 
Nous avons toujours voulu faire de la France la terre la plus attractive pour les investissements étrangers en Europe et elle l’est, je le rappelle. Nous avons voulu aussi protéger un certain nombre de technologies sensibles, d’industries qui sont au cœur de notre souveraineté et qui ont besoin de protection, protection qui est garantie en Chine, aux États-Unis, dans d’autres pays européens et qui doit l’être aussi en France.
 
C’est l’objectif du cloud souverain que nous sommes en train de développer avec l’Allemagne et qui doit nous permettre d’héberger nos données les plus stratégiques. L’idée est à la fois de protéger ces données pour éviter qu’elles soient captées par des puissances étrangères, mais aussi de favoriser la mutualisation des données par secteurs économiques pour améliorer la recherche, le développement et la compétitivité des entreprises. C’est tout l’objectif du projet Gaia-X que nous avons lancé avec Peter Altmaier il y a quelques mois, que nous voulons accélérer dans les mois qui viennent, et que le président de la République et la chancelière allemande ont voulu aussi développer lors de leur entretien à l’été 2020.
 
Soyons très clairs. Si chaque État européen développe son propre cloud souverain tout seul dans son coin, il n’y arrivera pas, et cela n’aura aucun intérêt pour les entreprises parce que le nombre de données sera insuffisant. Si, à l’inverse, nous sommes capables de développer une offre européenne de cloud souverain pour le stockage des données les plus sensibles des entreprises qui ont les technologies les plus sensibles et que la France, l’Italie, l’Allemagne se mettent ensemble comme nous avons commencé à le faire là, nous pouvons rivaliser avec la Chine et avec les États-Unis.
 
Je termine par-là avec ces deux derniers points qui me paraissent absolument essentiels dans vos travaux.
 
Le premier, c’est pour vous dire que l’enjeu derrière ces réflexions sur les données, sur la transformation technologique de notre pays, c’est tout simplement de savoir dans quelle cour nous voulons jouer. Pour ma part, je préfère jouer dans la cour des grands. Je préfère que la France joue dans la cour des grands. Je préfère que l’Europe joue dans la cour des grands.
 
La cour des grands, c’est celle où deux acteurs sont présents et pas trois. Les États-Unis et la Chine. Il y a une place à prendre pour l’Europe. Mais cette place dépend uniquement de notre capacité à maîtriser les technologies de pointe du XXIème siècle. Tous ceux qui vous parlent légitimement de souveraineté politique, doivent comprendre une chose simple, il n’y a plus au XXIème souveraineté politique sans souveraineté technologique.
 
Cela ne sert à rien de maîtriser ses frontières, sa police, sa gendarmerie, son armée si vos données les plus sensibles sont captées par la Chine et par les États-Unis. Si vous n’avez pas de maîtrise de l’espace. Si vous ne contrôlez pas les signaux à partir de satellites d’orbite basse. Si vous ne savez pas percer les mystères de la matière par la physique quantique. Si vous ne savez pas traiter les données avec des algorithmes puissants, avec une intelligence artificielle puissante.
 
Nous ne pouvons pas parler de souveraineté si les logiciels qui guident vos voitures autonomes sont aux mains de la Chine ou des États-Unis. Nous ne pouvons pas parler de souveraineté si vos véhicules électriques qui se développent massivement, et tant mieux, sont équipés de batteries qui viennent à 85 % de la Chine ou de la Corée du Sud. Nous ne pouvons pas parler de souveraineté si les données les plus sensibles des industries les plus sensibles, maîtrisant les technologies les plus sensibles sont stockées sur la côte ouest des États-Unis ou au centre de la Chine.
 
Ce sont des réalités très simples. Il n’y a plus de souveraineté politique au XXIème siècle sans souveraineté technologique.
 
Enfin, un tout dernier point. Pardon de revenir à des considérations qui vont vous paraître très pratiques, mais c’est aussi mon rôle de ministre des Finances. Vous ne maîtriserez pas les technologies si vous n’êtes pas capable d’investir massivement et de mettre sur la table non pas des dizaines, non pas des centaines de millions d’euros, mais des milliards d’euros.
 
Toutes les technologies dont je vous ai parlé, que ce soit la physique quantique, l’hydrogène, les électrolyses, l’intelligence artificielle, le cloud, la création de Gigafactory de batteries électriques comme nous le préparons pour 2022 à Douvrin, dans le Nord, avec PSA et Total, plus l’entreprise Saft. Tous ces investissements ne sont pas concevables si l’Union européenne n’est pas capable d’apporter aux startups les moyens de se développer financièrement.
 
L’intelligence, nous l’avons. Mais nous traitons trop souvent de manière détachée les questions d’intendance et de financement. Une startup qui réussit dans les biotechnologies, dans l’intelligence artificielle, dans le cloud en quantique arrive très rapidement à avoir des besoins financiers considérables que nous ne savons pas assurer parce que nous n’avons pas la profondeur financière nécessaire.
 
Notre échec sur le digital, il tient à deux choses l’absence de maîtrise technologique, je pense que ce n’est pas le point le plus important et l’incapacité à mettre sur la table des dizaines de milliards d’euros pour créer des entreprises de taille critique. Voilà le point absolument capital.
 
A un moment donné, il est trop tard parce que l’accumulation de richesses est telle que vous ne pouvez plus rattraper votre retard. Alors, ne faisons pas au XXIème siècle l’erreur que nous avons faite au XXème. Sachons nous mettre ensemble, nous États Européens, parce qu’aucun ne peut jouer sa partition tout seul dans ces domaines-là.
 
Rassemblons nos forces. Investissons massivement sur la recherche et sur l’innovation parce que notre souveraineté politique en dépend au XXIème siècle. N’oublions pas l’intendance parce qu’il faut bien des financements pour garantir la croissance de ces startups, de ces entreprises et la maîtrise de nos données.
 
Merci à tous et je vous souhaite une excellente session de travail ce matin au ministère de l’Économie et des Finances. Vous verrez, c’est un lieu qui est un peu aride, mais qui est très propice à la réflexion intellectuelle.